18/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le mouvement démocratique ne mourra jamais

01/07/1989

Photo de Yang Wen-ching

Le 16 avril, d'un vif élan,de l'Université de Pékin ont commencé leur manifestation sur la place Tienanmen pour la réhabilitation de Hou Yao-pang [Hu Yaobang], l'ancien secrétaire général du parti communiste chinois (PCC) qui venait de s'éteindre la veille. Ils en appelaient également à la condamnation de la corruption des fonctionnaires et à la libéralisation de l'information dans les media. Bref, ils désiraient un franc dialogue sur un pied d'équalité avec les autorités communistes.

L'appel ignoré, la population pékinoise sympathisante à ce mouvement descendit à son tour dans la rue pour exprimer son ferme soutien aux jeunes manifestants. Lorsque les représentants des étudiants furent admis à une entrevue avec Li Peng, le dialogue souhaité se transforma en une grande admonestation mêlée de menaces de la part du « premier ministre » communiste. Les appels des étudiants pour la reconnaissance des faits récusés et pour la promesse de ne pas être poursuivis en justice furent tous déboutés. C'était donc le refus catégorique de la communication puisque les leaders communistes n'ont voulu entendre ni les étudiants ni le peuple.

L'ironie est que les étudiants demandaient très peu au nom de la démocratie et de la liberté, alors que les dirigeants communistes ont immédiatement vu dans les appels pacifiques et raisonnables des étudiants un puissant défi et surtout une injure à leur autorité et à leur état. Le rejet de toute communication par les dirigeants du PCC est un échec complet. Pourtant, les étudiants avaient recueilli le soutien général et s'étaient faits les porte-parole de toutes les couches de la population, non seulement de Pékin, mais de toute la Chine continentale. Si les slogans des manifestants et leurs partisans s'orientèrent finalement sur la liberté et la démocratie, le cœur du débat posé par les étudiants est resté inchangé : ils désiraient un signe de bonne volonté de la part du parti communiste et de ses dirigeants en daignant au moins écouter des opinions constructives relatives aux réformes.

Lee Shien-wen
Les événements de mai 1989. Les étudiants commencent à occuper la place Tienanmen après la mort de Hou Yao-pang. Un gréviste de la faim recevant une marque de soutien. Les étudiants soutenus par les ouvriers et les habitants marchent dans les rues de Pékin en réclamant la liberté et la démocratie.

Dès le début, la direction du parti aurait pu prendre des initiatives. A travers un dialogue ouvert, elle aurait pu desserrer la tension spontanée et artificielle provoquée par l'arrivée massive de manifestants sur la place Tienanmen. Mais tel ne fut pas son choix. Au contraire, elle préféra la méthode opposée, en menaçant d'employer la force et, en fin de compte, en l'employant effectivement.

Yang Chang-kouen [Yang Shang-kun] et Li Peng proclamèrent la loi martiale le 20 mai après le soi-disant échec du dialogue. La décision provoqua l'opposition du peuple, et la confrontation entre le peuple et les autorités devenait inévitable. Ce sera l'effroyable bain de sang quand les étudiants et la foule furent écrasés par les tanks et les armes automatiques du 27e corps de l'« armée populaire de libération ». C'est justement cette armée qui massacra le peuple au petit jour du 4 juin. Et le monde entier fut extrêmement choqué de la brutalité des dirigeants communistes contre leur propre population. C'est un crime qu'aucune personne de sens moral dans le monde ne peut pardonner.

Trois facteurs peuvent expliquer les raisons de la tragédie de Tienanmen. Le premier, l'autorité suprême du parti communiste chinois (PCC) qui prend les décisions, soit Teng Siao-ping [Deng Xiaoping] seul, soit le même avec les conservateurs, fut dominée par le principe immuable de l'idéologie antidémocratique du marxisme-maoïsme. Elle insiste toujours fortement sur la dictature absolue et refuse de reconnaître la légitimité des protestations raisonnables des étudiants et du peuple. Elle considère toute revendication à la démocratisation comme une interférence de l'Occident en Chine continentale pour desservir ses propres intérêts.

Yang Wen-ching
Les étudiants et leurs supporters manifestants sur la place Tienanmen, au centre de Pékin.

Le second, les dirigeants du PCC, obsédés, se servent de la force militaire comme moyen unique et définitif pour régler les problèmes sociaux et politiques. Ils croient aveuglément au contrôle et à la répression de la pensée et de l'action du peuple. En ce sens, ils appliquent les principes de la guerre révolutionnaire à une foule non révolutionnaire pour l'obliger à penser autrement.

Enfin, ces mêmes dirigeants jouent leur rôle de gouvernants du peuple d'une manière toute paternaliste où le parti octroie une réforme économique et non pas une mesure nécessaire aux besoins du peuple. Dans ce cas, ils sont enclins à une réponse brutale pour infliger une punition à tout mécontentement ou toute protestation.

Dans ces circonstances, les dirigeants communistes n'ont pas d'autre solution que d'employer la force contre leurs propres subordonnés. Ils ne trouvent pas d'autre cause à ce prétendu trouble que les idées de démocratie et de liberté occidentales qu'auraient répandues Fang Li-tche [Fang Lizhi] et d'autres parmi les étudiants. En même temps, ils sont restés sourds et aveugles à la réalité sociale : un courant que l'histoire emporte vers la démocratie, le rationalisme, vers l'ouverture d'esprit de la population, aussi bien en Chine que dans les autres régions du monde.

Les dirigeants du PCC se sont également bouchés les oreilles aux appels à la justice et aux voix de la raison qui s'élevaient du fond des cœurs. Aussi ont-ils transformé avec quelque succès les « contradictions internes non antagonistes du peuple » en « contradictions antagonistes entre le parti et le peuple ». En agissant ainsi, ils perdront la guerre même s'ils ont déjà gagné une bataille.

Archives
Erection de la statue de la démocratie devant l'Assemblée nationale populaire à Pékin.

Un dicton dit que l'on reconnaît l'automne à la tombée des feuilles. Les feuilles sont donc tombées, mais le PCC a refusé de le voir. Néanmoins, l'automne arrivera, et ce ne sera pas un automne pour anéantir la démocratie. Ce sera une saison pour la récolter, car les graines de la démocratie sont maintenant largement semées.

Etant donnée la confrontation des deux idéologies opposées, la dictature contre la démocratie, il faut voir dans tout l'événement de Tienanmen à la fois une nécessité et une inutilité. Les dirigeants du PCC s'accrochent toujours au dogme marxiste complètement dépassé de la dictature du prolétariat alors que beaucoup ont déjà embrassé une démocratie démarxisée, issue du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Néanmoins, cette tragédie aurait pu être évitée. Elle est indubitablement due à une mauvaise compréhension ou un mauvais jugement. Car d'une chose, le conflit entre Li Peng, conservateur, et Tchao Tseu-yang [Zhao Ziyang], d'esprit libéral, a transformé les manifestations estudiantines et leurs supporters en partisans et opposants d'une lutte pour le pouvoir au sein même du PCC. Si l'on ne pouvait prédire la défaite de Tchao Tseu-yang, il a assurément perdu le contrôle de la situation, et le groupe octogénaire des conservateurs a effectué un manifeste retour. Avec l'expérience des années 60 et même des années 70 où la Chine continentale a rapidement glissé loin des forces démocratiques dans un isolement complet à l'écart du monde, il n'est absolument pas surprenant de voir le déroulement des événements de 1989.

La contradiction la plus flagrante du PCC est que sa politique générale est dictée par quelques personnages dominant le parti et non pour les besoins réels du peuple. Au cours des dix dernières années, Teng Siao-ping s'est engagé dans une politique de réformes, mais il les a limitées à l'économie et n'a manifesté aucun désir de modifier la politique ou les institutions.

Sur l'avenue de la Paix éternelle, les étudiants porte-parole de la démocratisation de la Chine.

Mais à la vérité, il ne peut y avoir de véritable réforme sans une réforme politique. Même les premiers succès de la réforme économique n'ont pas duré, ils portent en eux un germe autodestructeur, comme le dénote le système de la « corruption des fonctionnaires ». Les forces d'une économie de marché libre ne peuvent pas travailler au meilleur avantage du peuple et de la société s'ils sont placés sous le statut impératif de la propriété publique, contrôlée par quelques individus privilégiés de la hiérarchie communistes. Les deux systèmes sont incompatibles et ne peuvent qu'activer l'inégalité, l'injustice sociale et la corruption des responsables et apporter de graves préjudices.

Cette concentration du pouvoir politique aux mains du PCC est la cause réelle de troubles sociaux. La manifestation des étudiants et du peuple sur la place Tienanmen pour la démocratie et la liberté n'en est pas la cause, elle n'en est que l'aboutissement.

Les dispositions de la dictature du PCC de prendre des décisions sont extrêmement dangereuses. Presque tous les successeurs désignés du leader suprême ont souffert de la destitution, la persécution ou l'élimination par le chef suprême lui-même. La raison en est bien simple. Il ne peut y avoir de vrai stabilité entre le successeur et le chef, mais seulement une tension. Si le grand dirigeant a le pouvoir de nommer un successeur, il a aussi celui de le destituer ou d'en disposer à son gré. Autrement dit, il aura le sentiment constant d'être menacé, par son successeur en tant que tel.

Il s'ensuit que la dynamique des relations entre un possible successeur et le leader suprême aboutira à une épreuve de force entre les deux, donc à un éclatement dans le parti entre les libéraux sur le devant de la scène et les conservateurs à l'arrière. La dictature ne peut donc résoudre les problèmes de la succession et transférer le pouvoir politique sans violence ou menace de violence.

Wang Ho-yi
Sur l'esplanade du mémorial Tchang Kaï-chek de Taipei, manifestation des étudiants et travailleurs pour protester contre la répression sanglante des étudiants à Pékin par les autorités communistes.

La Chine a besoin de démocratie pour une véritable réforme, un développement et une modernisation. Mais il ne peut y avoir de développement économique sans modernisation politique, ni de stabilité authentique sans démocratie. Le PCC use de la force sous le prétexte de l'ordre et la stabilité pour écraser les mouvements démocratiques. C'est là un faux ordre et une stabilité précaire qui étouffent toute initiative et déploient une hostilité et une apathie parmi le peuple. Elles sont au détriment du développement et de la croissance de l'économie. De plus, l'environnement international deviendra de moins en moins favorable à ce faux ordre et cette stabilité précaire qui n'attendent que la tempête plus violente qui les emportera.

Le mouvement démocratique ne mourra jamais. La statue que les étudiants ont érigée sur la place Tienanmen est justement le symbole de ces besoins fondamentaux tant individuels que sociaux du peuple. Les manifestants de Pékin et leurs supporters ont offert un sacrifice formidable pour la noble cause de la démocratie et de la liberté, et pas uniquement pour la Chine seule. Tandis que leur appel à l'humanité et la démocratie a réveillé le peuple chinois, il a aussi été entendu à travers le monde. Leur esprit indomptable et éternel a eu et continuera d'avoir un impact puissant sur l'esprit et le cœur de tout le peuple de Chine et du reste du monde. L'élan de la démocratie continuera fièrement sa marche.

 

Cheng Chung-ying,
Professeur de philosophie à l'Université de Hawaï à Manoa (Honolulu, Etats-Unis).

[NDLR. : Pour servir de référence au lecteur, les noms des personnalités de Chine continentale transcrits à la française dans ce texte sont accompagnés, à leur première mention, de l'orthographe en usage dans la presse française, quand elle est différente.]

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